Petite histoire du cinéma brésilien
Le cinéma brésilien jouit d'une faible visibilité internationale et pourtant, il serait dommage de faire l'impasse sur son histoire complexe, constituée d'interactions de toutes sortes dans ses expressions sociologiques et artistiques. Le cinéma brésilien a fortement été imprégné par la théorie cubaine du cinéma imparfait et plus généralement par la mouvance artistique argentine.
La belle époque
Le cinéma brésilien a vu le jour quelques mois à peine après que les frères lumières aient projeté leur premier film. Sa naissance à coïncidé avec la proclamation de la nouvelle république brésilienne et le dynamisme industrielle de l'époque.
Entre 1900 et 1912, ce sont plutôt les films documentaires et les films d'actualité qui dominent ce nouveau marché et pour la fiction, ce sont les mélodrames historiques, les adaptations littéraires et les comédies musicales satyriques qui étaient en vogue.
Films majeurs de la période
Os estranguladores (Les étrangers 1908) d' Antonio Leal. Considéré comme le premier film long métrage de la production brésilienne. Nho Anasta'cio chegou de viagem (1908) de Julio Ferrez : une comédie racontant l'histoire d'un paysan qui découvre la vie trépidante de la ville. Guarany, une adaptation de l'écrivain brésilien José de Alencar.
Le crime de la valise (O crime da mala) de Alberto Botelho. Une intrigue policière qui fut un grand succès en salle. Sur le plan technique et par manque d'infrastructures, le Brésil ne peut rivaliser avec les productions françaises ou américaines. D'autre part, dans les villes comme Rio de Janeiro, seules les classes moyennes ou supérieures peuvent se permettre d'aller au cinéma. Le marché cinématographique est donc assez restreint.
En 1911, ce sont surtout les " target="_blank" rel="noopener noreferrer">films hollywoodiens et européens que l'on voit à l'écran. En Amérique latine, les investissements des sociétés de production américaines passant de 17 % à 40 %, faisant du Brésil l'une de leur place forte. Car le public apprécie les films à la tonalité glamour et très aboutis d'un point de vue technique.
Cinearte, un journal influent consacré au cinéma vante dans les années 20 ce modèle américain. Malgré tout, des cinéastes émergent petit à petit et expérimentent ce nouvel art un peu partout au Brésil. A Rio, Sao Paulo ou Porto Alegre.
On peut citer Luiz Barros qui adapte le roman indianiste de José de Alencar, Iracema (1917). Une histoire d'amour fusionnelle et néanmoins impossible entre une Indienne, Iracema et un blanc, Martim Soares Moreno.
Autres films
Fragments de vie (Fragmentos da vida, 1929) de José Médina, l'un des films majeurs du cinéma muet brésilien.
Limite (1931) de Mário Peixoto. Le premier film expérimental brésilien. L'histoire de trois personnes, un homme et deux femmes dérivant sur un canot en pleine mer. Chacune ayant eu avant de se retrouver dans cette situation un parcours personnelle singulier.
Un cinéaste incontournable de la période est Humberto Mauro qui réalisera par l'intermédiaire de sa société de production Phebo Films, des œuvres devenues emblématiques du cinéma muet brésilien : Valadião, o Cratera (1925), Na primavera da vida (Le printemps de la vie, 1926), Le trésor perdu (Tesouro perdido, 1927). Humberto Mauro fera ensuite équipe avec Cinedia pour produire des films importants dans l'imaginaire brésilien : Labios sem beijos (1930) et Ganga bruta (Brutal Gang, 1933). Avec Brasil Vita Filmes il coproduit ensuite Favela dos meus (1934).
Cinéma brésilien dans les années 30
Une période qui signe l'avènement du son. Sous la présidence de Getúlio Varga, le cinéma brésilien connaîtra une modernisation par l'intermédiaire de financements conséquents de l’État qui y verra une façon de promouvoir sa politique. Dans les années 30, Rio de Janeiro est le haut lieu de la production cinématographique. Le genre à la mode est la chanchada, une comédie musicale qui puise son inspiration dans celles qui sont produites aux États-Unis. Un mélange de carnaval et de samba avec une tonalité carioca.
Ce qui plaît également beaucoup au public, c'est ce mélange d'argot et ces expressions de la rue qui sont employées afin de se moquer du cinéma hollywoodien. Des sociétés de production voient le jour telles que Cinédia ou Vita Filmes qui cherchent à professionnaliser le cinéma brésilien. En témoigne la sortie de films très aboutis tels que Alo, Alo Brasil (1935).
À partir de 1943, la compagnie Atlantida prend la relève et produit des films au style réaliste et socialement très engagés : Tristezas nao pagam dividas (1943). Ce film marque l'avènement des deux plus grandes stars du cinéma brésilien de tous les temps : Grande Otelo (1915-1993) et Oscarito (1906-1970). Une renommée que l'on pourrait comparer à celle de Louis De Funès et de Bourvil en France.
A partir de 1949, C'est la compagnie Vera Cruz qui reprend le flambeau en investissant de façon très conséquente dans les nouvelles technologies. Elle construira également de grands studios inspirés de ceux d'Hollywood. L’objectif étant de pouvoir exporter ses films à l'international. O cangaceiro sera le premier à traverser les frontières.
Années 60 : une nouvelle vague comme en France
Période où le cinéma brésilien est fortement imprégné par des évènements liés au continent sud-américain tel que la révolution cubaine menée par Che Guevara, le massacre de Tlateloco en 1968 qui fit entre 200 et 300 morts au Mexique ou encore la protestation populaire du Corbobazo en Argentine en 1969. Un soulèvement qui signera la fin de la dictature du général Juan Carlos Onganía.
Une nouvelle vague voit le jour, très imaginative, incarnée par de jeunes cinéastes tels que Nelson Pereira dos Santos, Ruy Guerra, Joaquim Pedro de Andrade ou Carlos Diegues. Un cinéma ouvertement indépendantiste et anticolonialiste impulsé par la révolution cubaine et qui prend clairement le contre-pied des productions hollywoodiennes, symboles d'impérialisme et d'ingérence.
Cette approche est fortement influencée par la nouvelle vague française et le néoréalisme italien. On privilégie un cinéma à faible coût à partir de moments pris sur le vif. La caméra est intrusive et on choisit volontiers des comédiens amateurs pour coller au plus proche de la réalité.
L'axe majeur de ce nouveau cinéma est une critique au vitriol du colonialisme et du néocolonialisme que Carlos Diegues saura retranscrire à l'écran. Il sillonnera le Brésil pour aller à la rencontre du peuple et le faire témoigner. Ouvrier, paysan, pécheur. Sur les plages ou dans les bidonvilles.
Les films emblématiques de cette nouvelle vague :
Rio 40 de Santos (1955) réalisé par Nelson Pereira Dos Dantos. Les destins croisés de cinq enfants issus des favelas de Rio qui gagnent leur vie en vendant des cacahuètes.
Barravento (1962) de Glauber Rocha. L'histoire d'un village de pécheurs dont les ancêtres étaient des esclaves venus d'Afrique. Dans ce film, le candomblé tient une place centrale. Un culte afro-brésilien basé sur les orixás, des dieux incarnant un élément naturel tel que l'eau ou le feu.
En 1963 sortira une série de films ayant pour théâtre le Sertão, une région du Nordeste typique de l'âme brésilienne et qui exprime un côté brut et authentique, non contaminée par la modernité et l'industrialisation.
Films au plus proche de cette réalité à fleur de peau :
Vidas secas (Sécheresse, 1963) de dos Santos. Une famille de pauvres paysans vivant dans le Nordeste décide de fuir la misère afin de tenter sa chance ailleurs.
Carlos Diegues à travers le film Ganga Zumba explore également cet univers où il est question de la défense des opprimés avec en trame de fond, un optimisme ambiant lié à cette culture révolutionnaire propre à l'Amérique Latine dont le dessein est de réduire les inégalités. N'en reste pas moins que les scénarios gravitent toujours autour de préoccupations terre-à-terre qui est la fuite de la misère afin de pouvoir manger à sa faim. Pour y parvenir, il faut parfois voler et même tuer. La faim poétisée, analysée sous tous les angles, et même esthétisée à l'écran. La faim comme essence même de la société brésilienne.
Os Fuzis (Les fusils, 1964) de Ruy Guerra raconte la tranche de vie d'un village dans le Nordeste. Ses habitants affamés murissent l'idée piller le magasin d'un riche notable avant que l'armée n'intervienne pour les en dissuader. Entre fatalité et jusqu'au boutisme, l'armée prend conscience de cette précarité et changera d'elle-même son fusil d'épaule.Années 70 : la période pop et le cannibalisme
Le cinéma brésilien entre dans une stratégie de résistance artistique en cassant les codes; deux courants émergent : le cannibalisme et le tropicalisme. Le cannibalisme inspiré par le mouvement moderniste des années 20 a pour projet de dévorer symboliquement l'impérialisme culturel de l'époque.
Film majeur
Como Era Gostoso o Meu Francês (Qu'il était bon mon petit Français). L'histoire se déroule au XVIe siècle, à l'époque de la colonisation du Brésil par la France et le Portugal. Un jeune français est adopté par une tribu cannibale appelé Tupinamba . Peu à peu il réussit à se faire accepter au point d'embrasser leur mode de vie, et même se marier avec l'une de ses femmes... Jusqu'à ce qu'il se fasse manger par elle.
Le tropicalisme est un mouvement culturel qui est apparu après le coup d'état de 1964, coïncidant avec la période hippie et qui influença bon nombre d'écrivains, musicien, artistes avant-gardiste, auteurs de théâtre, cinéaste.
Le tropicalisme se positionne comment un courant de résistance à l'ultralibéralisme économique et a pour principe de revenir aux cultures traditionnelles tout en étant ouvert au divertissement, à la fête et à la libéralisation des mœurs. Le mouvement tropicaliste refuse le mécénat afin de ne plus être confronté à une censure idéologique, une façon de prendre ses distances avec le régime de l'époque.
Films cultes
Dona Flor e Seus Dois Maridos (Dona Flor et ses deux maris). Une comédie fantastique de Bruno Barreto. Une ode à l'amour durant le carnaval de Bahia.
Xica da Silva (1976), Bye Bye Brasil (1980) et Quilombo (1984) de Carlos Diegues.
Les années 80 marquent un déclin de la production cinématographique à cause de la réduction des financement publics. Une période où le cinéma est supplanté par la télévision, un outil de propagande pour les militaires. Les télénovelas font leur apparition et seront pour les décennies à venir, le principal divertissement populaire.
Une façon sans doute déguisée d'endormir le peuple avec des histoires mélodramatiques tout en lui faisant oublier la dure réalité du quotidien. On peut tout de même retenir durant cette période,
quelques films remarquables :
Eles nao usam cravate (1981) de Leon Hirszman. Une plongée dans l'univers des travailleurs des villes.
Pixote de Hector Babenco (1981). une œuvre entre la fiction et le documentaire qui relate la condition des enfants des rues, régulièrement exploités et parfois même assassinés.
A hora da estrela. La vie au jour le jour des migrants dans le Nordeste et la situation des femmes au sein des villes industrielles.
Les femmes réalisatrices sont également mis à l'honneur et parmi elle, Ana Carolina. Elle contribuera à porter un autre regard sur la femme, régulièrement victime de sexisme au sein de la société brésilienne. Elle réalisa plusieurs films emblématiques sur la question dont :
Sonho de Valsa. La recherche son identité de femme à travers le regard des hommes qu'il l'entoure, père et frère et amis. Lorsque la réalité du désir est confrontée l'illusion de l'amour et finalement à sa propre solitude.
Afin de s'inscrire dans la mondialisation et obtenir des soutiens financiers, le cinéma brésilien fera appel à des sociétés de production étrangères pour être visible sur le plan international. Malheureusement au détriment d'une certaine authenticité et en employant des stéréotypes de la culture brésilienne telle que le carnaval.
Un film sortira de cet académisme, Le baiser de la femme araignée (1985) de Héctor Babenco. Une histoire improbable entre deux hommes que tout oppose
dans une sorte de huit clos prenant, à l'époque de la dictature argentine. L'un est un révolutionnaire de gauche issu de la classe bourgeoise et l'autre est un homosexuel complètement déjanté issu des quartiers populaires. Au fur et à mesure, une amitié se liera entre eux.
Terra estrangeira (1997) de Walter Salles, Daniela Thomas. Originaire de Sao Paulo, Paco rêve de connaître le Portugal, le pays dont est originaire sa mère qui vient de mourir.
Il se met en relation avec un trafiquant de drogue Igor qui lui propose de partir à Lisbonne livrer un colis en échange du financement de son voyage. Là-bas, il rencontre une jeune serveuse Alex qui vit avec un musicien toxicomane. Tous trois auront à leur trousse des truands qui n'ont qu'une idée en tête, s’emparer du colis.
Quatre jours en septembre (1997) de Bruno Barreto. L'histoire de l'enlèvement de Charles Burke Elbrick l'ambassadeur des États-Unis commis par le MR-8 et l'ALN. Au moment des négociations pour la paix au Viêtnam alors que le brésil sombre dans la dictature.
Films exceptionnels à ne pas manquer
La cité de dieu De Fernando
Meirelles.
Un petit gamin issu d'une favela tente de s'en sortir autrement que par la violence qui l'entoure. Il se prend de passion pour la photographie afin de pouvoir appréhender son existence et celle de ses proche différemment.
Favelas de Stephen Daldry, Christian Duurvoort. Deux enfants trouvent un portefeuille dans la décharge qu'ils fouillent quotidiennement. Problème, la police est également à la recherche de celui-ci car son contenu est susceptible de la compromettre.
Central do Brasil de Walter Salles; Joshué, un jeune garçon qui se retrouve du jour au lendemain sans famille. Il rencontre une écrivaine public dans une gare de Rio qui lui propose de retrouver son père.
Chef d'œuvre documentaire
Favela Rising de De Matt Mochary. Anderson Sá, se sert de son expérience d'ancien trafiquant de drogue pour tenter de changer les choses dans les favelas de Rio. Notamment en faisant la promotion de la culture Afro-reggae et en les vertus du recyclage.
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